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Chroniques
Giacomo Puccini
La bohème
De même que l’histoire du chevalier des Grieux et de Manon Lescaut avait inspiré un autre compositeur neuf ans avant lui – la Manon de Massenet est créée le 19 janvier 1884 (Paris), la sienne le 1er février 1893 (Turin) –, Puccini se retrouve à puiser à la même source que Leoncavallo, au même moment. Ce dernier tire en effet un livret et une musique de Scènes de la vie de bohème (1851), le livre d’Henri Murger paru en fragments depuis 1845 qui, après être devenue pièce de théâtre (1849) et avant d’intéresser le cinéma (1926), devient donc un opéra présenté à La Fenice (Venise), le 6 mai 1897. Mais cette fois, Puccini a la primeur du sujet, puisqu’à partir du livret conçu par Giuseppe Giacosa et Luigi Illica, il échafaude quatre « tableaux » présentés à Turin en 1896, trois ans jour pour jour après Manon Lescaut.
« J’aimerais mettre en scène un opéra avec des écrivains et des compositeurs capables de raconter le présent », confie le metteur en scène vénitien Damiano Michieletto qui fit ses débuts au Wexford Opera Festival en 2003, et s’évertue depuis à rafraîchir (sinon rajeunir) l’opéra italien [lire notre chronique du 13 septembre 2010]. Si l’on croit loin le temps du Chiffonnier cherchant sa fille perdue (Louise, 1900) dans un Montmartre où un jeune poète affronte la désillusion (Julien, 1913 – du même), il suffit d’apprendre qu’un propriétaire puisse louer pendant quinze ans un local d’1,56m² comme espace de vie (robinet, plaque de cuisson, matelas), via des agences immobilières complaisantes, pour comprendre que la misère reste accrochée à Paris comme un mouisard à l’espoir d’une vie meilleure. En jouant de façon apparemment ludique et symbolique avec les différentes échelles du décor (fenêtre géante, immeuble-banquette, etc.), Michieletto peint la capitale en métropole industrielle qui n’a que faire de l’humain. La charge est pourtant discrète, de même qu’est subtil le détournement des clichés émotionnels, et sans mauvais goût sa direction d’acteurs.
Passée d’un blouson de cuir d’« allumeuse » à un tendre gilet de laine, la Mimi d’Anna Netrebko est une gentille fille déglinguée qui s’adoucit à mesure qu’elle abandonne sa carapace. Le timbre du soprano est chaleureux et onctueux, le legato toujours gracieux et le personnage jamais ridicule. Piotr Beczala (Rodolfo) fait montre, lui aussi, de chaleur et d’une relative souplesse – notons quelques heurts occasionnels. Massimo Cavalletti (Marcello) possède une belle vaillance. Alessio Arduini (Schaunard) s’avère un baryton sain, généreusement impacté – qui lui vaut de défendre le rôle à Covent Garden, en cette veille de printemps. Instable, Carlo Colombara (Colline) n’est pas inoubliable. Enfin, Nino Machaidze (Musetta) tremblote çà et là.
Cette première Bohème au Großes Festspielhaus (Salzbourg), filmée fin juillet et début août 2012, est donc recommandable, d’autant que Danielle Gatti conduit des Wiener Philharmoniker des plus nuancés qui, par moments, ne rechignent pas à l’opulence.
LB